Former à Zotero, le casse-tête des systèmes fermés

Un peu de curiosité sur la manière dont son ordinateur fonctionne et comment il agence des logiciels entre eux (par exemple, Zotero, Java et LibreOffice) n’a jamais fait de mal. Cela fait partie des apprentissages qui devraient être mieux valorisés à l’Université. Ils le sont dans la recherche qui doit reposer sur un strict contrôle des opérations réalisées par ces différents logiciels, mais cette approche est encore très peu présente au niveau de la formation où la gestion de son ordinateur n’est jamais vraiment enseigné (Les équipes qui gèrent Pix et les DSI ne peuvent pas apporter une aide individualisée dans ce domaine).

Lors de nos séances de formation à Zotero en bibliothèque universitaire, nous rencontrons un nombre croissant d’étudiant.e.s qui nous demandent si Zotero est compatible avec le traitement de texte Page. A vrai dire, je ne suis même pas sûr que Page soit un traitement de texte, je veux dire par là : au même titre que LibreOffice ou Word. Je le vois plutôt comme un éditeur de notes, à la façon d’Evernote. Pour ce que j’en sais, il me paraît difficile d’écrire une thèse d’exercice avec cet éditeur. D’autant plus que Zotero, justement n’est pas compatible avec Page. La raison de cet état de fait intéresse peu les étudiant.e.s, mais pour nous, elle est significative : si Page ne fonctionne pas avec Zotero, c’est parce que cet éditeur conçu pour les macs est une boîte noire pour les personnes qui développent du logiciel libre. Comme une bonne partie de ce qui constitue l’écosystème d’Apple. C’est d’ailleurs ce qui est rappelé sur le forum de Zotero. Qu’à cela ne tienne, ces étudiant.e.s sont comme moi tous pourvus d’identifiants Google. Il leur suffit de savoir que Zotero fonctionne bien avec Google doc, pour qu’ils décident d’y rédiger la thèse. Le choix peut avoir du sens dans un projet d’écriture collaborative. Certain.e.s étudiant.e.s de médecine rédigent une thèse en binôme. Toutefois, comme Office365 auquel tous les étudiant.e.s et personnels de mon université ont accès depuis avril dernier, Google Doc est un éditeur très limité par rapport à un logiciel comme Word ou LibreOffice. Il suffit d’essayer de gérer finement les styles ou la numérotation pour s’en rendre compte.

Les étudiant.e.s en médecine sont peu soucieux des risques en matière de confidentialité ou de respect des données personnelles que l’usage des outils de Google fait peser sur eux-même (et plus tard éventuellement sur leurs patients). Que Google ait par ailleurs investi dans plusieurs projets d’hébergement ou de rachat de données médicales ne paraît pas les troubler le moins du monde. Le problème n’est pas récent et peut concourir au fait qu’on se retrouve aujourd’hui avec des praticiens qui ne voient pas le problème dans le fait d’utiliser un hub de microsoft pour héberger les données de santé des Français.

L’origine du mal remonte évidemment à l’Education Nationale dont on ne cessera jamais de dénoncer le partenariat irresponsable avec Microsoft. Mais en dehors de l’école, Google étend son influence auprès de chaque utilisateur particulier et chacun a pu constater à quel point le confinement avait accentué ces tendances.

Les étudiant.e.s en médecine sont donc largement ignorants des enjeux du logiciel libre ou de la monétisation de nos données et de nos comportements en ligne On pourrait dire qu’il vaut mieux qu’ils sachent réparer un fémur plutôt que de taper une ligne de commande sur un terminal, mais c’est un argument qui ne va pas bien loin. L’exercice de la médecine ne devrait-il pas s’accompagner d’une ouverture d’esprit suffisante pour intégrer ces questions sur les technologies et le monde qu’elles dessinent ? Quand on voit à quel point la première année de médecine sert davantage à formater les esprits (et les sélectionner bien sûr) plutôt qu’à les préparer, on comprend que ces étudiants n’entendent jamais parler de ces choses avant de nous rencontrer sur la question en apparence anodine de la gestion d’une bibliographie.

D’après ce que j’observe, ce public a très peu de recul critique sur ses usages de Google ou bien cela se limite à utiliser Liloo ou Ecosia en lieu et place de Google Search, des moteurs à prétention « écologique » qui pourtant exploitent leurs données pour leur envoyer de la publicité ciblée.

Lorsqu’on mentionne aux étudiants qu’avec LibreOffice, ils disposeront d’un outil complet, libre, gratuit pour lequel ils n’auront pas à payer ni à craquer et que ce logiciel fonctionnera de manière optimale avec Zotero, ils ne sont souvent pas intéressés. Certain.e.s ne voient d’ailleurs pas l’intérêt de télécharger un logiciel pour éditer du texte. Ces étudiant.e.s sont souvent pourvus d’ordinateurs très performants (En médecine, des Macs pour la très grande majorité) qui valent quatre à cinq fois le prix de mon ordinateur personnel que j’ai acheté d’occasion, mais renâclent à y installer des logiciels. Quand on leur demande de charger Zotero sur leur machine, certain.e.s, c’est l’occasion pour certain.e.s de procéder à leur premier téléchargement. Installer ensuite LibreOffice puis l’environnement Java qu’on leur indique pour que ces deux logiciels soient parfaitement interopérables leur semble être un pensum bien inutile. Je ne leur jette pas la pierre, j’ai certainement été comme eux si on excepte le fait que j’avais à leur âge un matériel bien moins performant et surtout moins coûteux que le leur. Je veux dire que, comme eux je me concentrais alors sur les échéances académiques qui m’étaient fixées (rendre le plan de mon mémoire, son introduction, son premier chapitre, etc.) et j’utilisais alors l’outil de mise en page vendu avec mon ordi (à l’époque on n’avait pas à payer pour Word ou Excel) sans me poser de questions sur ce qui pouvait exister au dehors.

Pourtant les normes universitaires ne nous permettent plus aujourd’hui de persévérer bien longtemps dans cette ignorance. Avec le premier mémoire (la thèse d’exercice en l’occurrence) survient pour la première fois (dans certains cas la dernière) la nécessité d’appliquer une feuille de style, de constituer une table des matières, de gérer des notes de bas de page, d’assurer la numérotation des pages, et bien sûr de produire une bibliographie normée, c’est-à-dire, aujourd’hui, produite automatiquement à partir d’un gestionnaire de références comme Zotero.

Les enseignant.e.s de médecine de plus de 40 ans savent que ces aspects sont devenus plus importants pour leurs étudiants qu’ils ne l’étaient pour eux-mêmes à l’époque de l’écriture de leur thèse et ils/elles ont compris pour la plupart qu’ils/elles pouvaient compter sur les bibliothécaires pour leur enseigner la gestion d’une feuille de style pour un traitement de texte ou bien l’insertion d’une bibliographie avec Zotero.

Mais il reste à convaincre leurs étudiant.e.s que s’ils/elles souhaitent garder un contrôle sur leur texte, cela ne leur coûtera pas rien (laissons donc tomber Word et toute sa suite) mais plus sûrement un peu de temps et d’attention à consacrer au fonctionnement de leur machine et particulièrement d’un logiciel comme LibreOffice.

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